Avec War(M), zone de paix pour les arts et la danse, la danseuse et chorégraphe Olga Dukhovna fait résonner la vitalité et la résilience de la culture ukrainienne dans une fête joyeuse et collective, le 5 avril, loin des images de guerre.
Comment est né le projet War(M) ?
J’ai passé deux années au Théâtre Louis Aragon en qualité d’artiste associée, dans le cadre de Territoire(s) de la danse, pour lequel j’ai mené différents projets : avec le théâtre, le corps de ballet de Tremblay, les élèves du conservatoire, les habitants, en milieu scolaire. War(M) a été élaboré avec le TLA. Il se présente comme une carte blanche à la culture ukrainienne.
Pourquoi l’avoir appelé ainsi ?
Le mot War(M) porte en lui la guerre (war) et la chaleur (warm). D’un côté, il y a le conflit armé, et de l’autre, la chaleur des rapports humains. War(M) exprime mon désir de dégel et invoque le fleurissement culturel de l’après-guerre qui surviendra. Il fait aussi référence au terme soviétique оттепель (dégel), qui, dans les pays de l’ex-bloc soviétique, désigne une courte période d’assouplissement de la répression après la mort de Staline en 1953. Ce que je dis relève peut-être d’une pensée magique, mais c’est ma ligne de force, moi qui suis née dans une région russophone et qui parle mieux le russe que l’ukrainien.
Le titre reflète donc bien son contenu ?
Complètement. J’ai imaginé une fête joyeuse, créative et collective pour faire résonner la vitalité de la culture ukrainienne, la faire vivre au présent, montrer sa résilience et son foisonnement, ses couleurs, son énergie, loin des images de champs de bataille et de leurs victimes. D’où la diversité des rendez-vous artistiques qui jalonneront le 5 avril. J’ai conçu cette journée avec le Théâtre Louis Aragon comme un parcours de découverte des arts ukrainiens et de ses artistes, dans divers lieux du territoire. Il y aura une rencontre au TLA avec l’Institut ukrainien, du breakdance, un spectacle de danse, un DJ set et un repas partagé autour d’un bortsch végétarien, toujours au TLA, un échauffement public, un flashmob, des lectures de textes avec les étudiants de La Volia, une école d’art dramatique et une pièce dans le parc (en face de la mairie ndlr.).
La culture ukrainienne est mal identifiée en France…
C’est normal. Elle a été reléguée au second plan du temps de l’Union soviétique. L’irruption de la guerre n’a fait qu’amplifier cette ignorance car, si les gens ont aujourd’hui un regard sur l’Ukraine, c’est uniquement sous le prisme du conflit, qui a marqué tous les esprits. Pourtant, même dans les moments les plus sombres de notre histoire, la culture a continué d’irriguer la société. Ce fut aussi un moyen de résister face au pouvoir.
On pense surtout à des images de folklore…
Mon pays n’a pas tourné le dos aux traditions -et moi-même, je m’appuie sur elles dans mon travail- mais c’est pour mieux les revisiter sous un angle contemporain, comme on le verra dans plusieurs œuvres le 5 avril. Les artistes ukrainiens sont ouverts en grand sur le monde et remplis de créativité, quelle que soit la forme d’art. Ils ont cette énergie vitale d’être toujours en mouvement. Elle est propre aux pays où les artistes n’ont jamais été soutenus, hier comme aujourd’hui. Ils se débrouillent avec un rien, innovent, cherchent, créent dans l’urgence. Je suis convaincue que si la culture disparaissait, ils la réinventeraient.
War(M) se veut un message optimiste ?
Oui, et nous n’avons pas le choix. Tout ce qui ne tue pas renforce, dites-vous en France. C’est pareil pour nous. Si je prends mon propre exemple, la guerre a multiplié mon désir de création. Mais il y aura un après-guerre, et je m’attends à une nouvelle explosion d’énergie créatrice, dans tous les arts. Je ne veux pas que l’on s’apitoie sur nous. Nous avons tellement à montrer. Nous sommes résilients, et War(M) donnera l’occasion de le mesurer une nouvelle fois.
Propos recueillis par Frédéric Lombard